contes piedmontais

 

LE GÉANT DU BEL ARBRE

 

Connaissez-vous Piedmont ? Piedmont est un gentil petit village caché au pied du Mont Saint Martin... Pourquoi caché ? Parce que : hommes, femmes et enfants ont décidé d’être heureux et que même s’ils aiment recevoir leurs amis, ils savent que pour être heureux, il faut vivre cachés. Tous les villages ont une histoire... Piedmont n’a pas une histoire mais des tonnes d’histoires ! Des montagnes d’histoires... Parole de Saint Martin ! En voici une, c’est l’histoire du Géant du Bel Arbre...

En venant de la ville vous découvrez un grand et fort bel arbre ; c’est un tilleul planté là par quelques sans-culottes révolutionnaires. Un arbre dont les racines s’accrochent au centre de la terre... dont les branches touchent le ciel et le déchirent tout comme les éclairs un soir d’orage... Cet arbre sorti de la nuit des temps est à coup sûr le plus bel arbre... portant la belle frondaison... abritant le plus grand nombre d’oiseaux qu’un homme put rencontrer même s’il eut, mille vies durant, parcouru le monde ! Certains soirs, si vous lui prêtez attention, il vous racontera sa jeunesse... Oh ! Certes il a décidé d’oublier ses premières années, celles où il pensait encore que les hommes qui l’avaient planté, sauraient se souvenir de leurs engagements rien qu’en le caressant du regard... la révolution reste à faire. Laissons-lui la parole...

Il advint qu’un jour... ayant sauté la frontière toute proche, un géant des Flandres au cœur de pierre décida de venir installer ses pénates à mon sommet...J’aurais voulu me sauver tant cet individu me semblait méchant... mais les arbres ne peuvent se déplacer et je dus admettre qu’il demeurât, avec son fils, dans mes plus hautes branches... L’enfant du géant était beau... avec de grands yeux bleus comme le ciel, de longs cheveux pareils aux blés des champs voisins, une bouche aux lèvres rouges faites pour la poésie... Cet enfant là ne pouvait être méchant. La beauté pourtant ne saurait être un critère... On peut être mignon dans son corps et affreux dans sa tête... La suite nous prouvera que Louis (puisque c’est son nom) était beau et gentil à la fois... ce qui est rare et s’apparente à un don du ciel... Voici donc Père et enfant à mon faîte. Dieu merci, c’est une particularité chez les Géants, les Mamans n’existent pas. A peine sous mon couvert, le Géant, d’une voix de Stentor, se met à crier...

- Je suis le plus fort... Je suis le plus grand et le plus beau... Sus au vent... Sus aux oiseaux.

Vous pensez bien que le vent n’allait pas se laisser faire ! En quelques instants, ce fut la tempête... Le vent soufflait, mes branches pliaient... Le Géant hurlait... toussait... gonflait ses poumons pareils aux soufflets des forges de Mont Saint Martin. L’enfant Géant pleurait et se cachait sous la barbe de son père, qui, de temps à autre, cueillait un oiseau et le dévorait pour se donner des forces. Cela se produisait plusieurs fois par semaine... J’étais exténué... Mes racines étaient douloureuses... Mes branches malmenées, tordues, cassées... Où était le bon vieux temps ? Je pleurais et des larmes de sève s’échappaient des blessures de mon tronc. J’étais désespéré... Les oiseaux, de plus en plus, désertaient mon feuillage... Parfois, profitant de l’absence du Géant, ils revenaient me pousser quelques romances qui me paraissaient de plus en plus anciennes... Alors pour Louis, les oiseaux et moi, c’était la fête ! ... Nous nous amusions comme des fous ! ... Et tout le monde chantait !…

Mon ami Sol

Je quitterai

Mi Sol Ré

Avec Rémi

Ré Mi La Si

Avec La Si

Pirouette en Do

Pirouette en Si

Do Ré Sol Mi

Si La Mi Ré

 

Or un jour où le Géant était parti faire quelques vilains tours, le vent qui n’attendait que cela gonfla ses grosses joues à la limite de l’éclatement... Il souffla, siffla, hurla... fit courir le long des caniveaux les feuilles mortes et les chapeaux, les bergers et leurs troupeaux ! J’eus beau protester, lever les branches au ciel en signe de reddition... dire que je n’y étais pour rien, que le Géant était seul coupable... Le vent très en colère me laissa entendre, entre deux rafales, qu’il devait faire rendre gorge à la brute et que le seul moyen qu’il avait trouvé était de faire disparaître l’enfant. Il fallait donc qu’il tombe et se brise au sol pour que le Géant se retrouve seul ! Ce soir-là, j’ai tout fait pour que Louis demeure à l’abri de ma frondaison... A plusieurs reprises, au risque d’être déraciné, je me suis laissé entraîner jusqu’à terre... Chaque fois je le ramenais dans mes grands bras... le consolais... le caressais de mes feuilles... Je m’épuisais dans ce combat... les minutes, les heures passèrent sans que le vent ne se fatiguât et ce qui devait arriver... arriva...Sur un dernier coup de boutoir, me cassant encore quelques branches, le vent emporta Louis... Je le vis tournoyer... monter... descendre... remonter... Rien ni personne ne pouvait le sauver... Du moins je le croyais...C’est à ce moment que des centaines d’oiseaux venus de partout se précipitèrent... Je vous assure que ce fut une belle empoignade. L’un lui picora une oreille... des centaines d’autres le prirent par les cheveux... qui un bras... qui une jambe... Si bien que l’on vit cette chose bizarre autant qu’insolite ! Un enfant emporté dans les airs, par des milliers d’oiseaux, et délicatement déposé sur un coussin de mousse à des lieues de là.

A son retour, le Géant me trouva seul, et tellement épuisé, qu’il me fut impossible de répondre à ses questions... Inquiet, il se gratta la barbe... Pour la première fois de sa vie, il sut où se trouvait son cœur. Sa poitrine fut prise dans un étau. Où était Louis ? Comment faire ?... Où chercher ?... Pour peu, il aurait demandé au vent de porter son appel par-delà les monts ! Avant d’en arriver là, il décida de faire le tour des animaux...

 

- Dites M. Lapin, est-ce que vos grandes oreilles n’ont rien entendu ? Si vous me renseignez, je vous promets cent carottes !

 

- Géant... Géant répondit le lapin... Mes grandes oreilles ont entendu... même pour cent mille carottes, quitte à perdre ma culotte, je ne dirai rien...

 

- Dites M. Hibou et vous Dame Chouette avec vos grands yeux et vos lunettes, n’avez-vous pas vu Louis... Si vous me renseignez, je vous décrocherai un quartier de Lune !

 

- Géant... Géant répondirent-ils en chœur, nous avons vu sans nos lunettes. Que ce soit pour la lune ou deux kopecks, rien ne sortira de notre bec...

 

- Escargot, j’ai écrasé plusieurs de tes petits... Maintenant je sais ce que tu as pu souffrir et je m’en excuse, mais dis-moi : as-tu vu mon fils ?... Sais-tu ce qu’il en est advenu ?... Le caches-tu dans ta coquille ?... Renseigne-moi je t’en supplie !

 

- Géant... Géant tu es devenu fou, ma coquille est bien trop petite... Il faut que je te quitte depuis ce matin, j’ai fait trois mètres, demande au vent, il sait peut-être !

- Monsieur le Vent, où est mon enfant ? Je ne serai plus méchant ! Foi de Géant. Chacun de nous doit vivre !

 

- Je donnerai ma force aux faibles... Mon rire à ceux qui pleurent... mes jambes aux paralytiques, s’il le faut mes yeux aux aveugles... Ma voix à ceux que l’on opprime... Tu es le seul que rien n’arrête, le seul qui puisse détenir la clé du mystère... Permets-moi de serrer mon petit Louis à nouveau sur mon cœur... Ceci étant dit... chose incroyable, le Géant se mit à pleurer...

Le vent lui tourna le dos et souffla plusieurs heures dans l’autre sens... Puis après un tourbillon sécha les larmes du Géant...Géant... Géant dit-il, je n’ai pas voulu te faire la guerre. Tu t’es dressé contre moi par orgueil et par bêtise... Toute force a sa faille, tu en fais l’expérience aujourd’hui. Je sais où est caché l’enfant, mais ce sont les oiseaux que tu détestais qui vont t’indiquer le chemin... Lève les yeux... Dans le ciel, une colonie de migrateurs dessinait la pointe d’une flèche... Le signal était clair... La direction indiquée... Les retrouvailles furent émouvantes... Petit Louis courut vers son père, la pie bavarde l’avait mis au courant de tous ces événements et il ne rêvait plus que de retrouver la chaleur de la barbe à papa.

Le Géant tint parole, il dépensa le reste de ses jours à faire le bien et, en plus, il devint le gardien du village. N’entraient à Piedmont que les gens capables de prouver qu’ils étaient propres, honnêtes, et beaux, c’est ce qui explique que le village soit resté aussi petit.

Maintenant que ma fin est proche, que la race des Géants s’est éteinte, il m’arrive d’avoir le cœur serré en pensant à Louis...

Avant de partir retrouver sa Flandre natale, il m’a offert en souvenir ses deux plus belles ceintures. Il s’agissait à l’origine de cercles ornés de perles et sertis de diamants. Malheureusement, le temps et les vandales ont fait tant et si bien qu’il n’en demeure que l’ossature métallique. Lorsque je vous quitterai à mon tour, je voudrais que vous les conserviez afin que nul n’ignore qu’ici vécut un arbre dont les racines mangeaient le centre de la terre... dont les branches déchiraient le ciel, tout comme les éclairs un soir d’orage !…

 

 

 

 

 

  L'escargot de Piedmont

 

 

  

L’affaire se situe il y a très très longtemps, elle remonte à l’époque où la télévision n’avait pas encore remplacé les Grands-mères pour raconter les histoires, où les Habitants de Piedmont se retrouvaient le soir sur le seuil, afin d’échanger les ragots du quartier.

 

En ces temps reculés, la pomme de terre n’existait pas en France alors que nos amis belges mangeaient déjà des frites. Le vent portait les effluves des friteries jusqu’au village, ce qui ne manquait pas d’allécher les Piedmontais. Il n’était pas rare de les rencontrer le nez en l’air, la narine grande ouverte pour ne rien perdre de cette odeur sublime.

Ce qui devait arriver arriva. La contrebande devint le jeu qui occupa nos ancêtres et, bien entendu, les Douaniers du poste frontière. Il faut noter ce point historique : les premières pommes de terre françaises furent donc de Piedmont, quiconque soutiendrait le contraire devrait revoir sa copie... Ce fait ne souffre aucune contestation au regard de ce qui précède. Ceci étant affirmé de la façon la plus péremptoire, venons-en aux faits :

Suant... Bavant... Soufflant... Un pauvre escargot s’exténuait à gravir la pente aride de la côte d’Halanzy. Il n’était pas question pour lui, cela se comprend aisément, d’allonger le pas et pourtant le soir tombait. En ce mois d’août la sécheresse rendait plus pénible encore cet exploit que bien peu réalisaient. Fallait-il qu’il l’aimât sa Tata belge pour s’imposer un tel calvaire ! Il ne regrettait rien cependant ; la journée avait été charmante, le repas d’herbes vertes un délice. Encore une glissade et il parviendrait aux portes du village... Déjà il apercevait la coquille de sa Grand-mère.

Soudain ce fut l’affolement il se sentit des ailes... Comme soulevé. A cette sensation de légèreté succéda une pesante angoisse... Que se passait-il ? ...Quel phénomène étrange se produisait ?

Pour un escargot habitué à être ventre à terre, avouez qu’il y avait là de quoi s’interroger ! Il connut très vite la réponse à ses questions...

- Je te tiens mauvais Français... Combien de frites dans ta sacoche ? ... Si tu fais ta caboche gare à la taloche !

Le douanier de faction venait de sévir ! Il était là l’œil courroucé. Sa conviction était faite. Il tenait son dixième fraudeur en même temps que la promotion qu’il attendait.

- Réponds, limace, qu’as-tu dans ta besace ? Est-ce du blanc de bœuf ? Dis-moi ne fais pas l’œuf ! (Œuf... Bœuf le parallèle eût été plaisant si la situation n’avait été aussi tendue)

- Monsieur le Douanier, permettez que je rectifie, je ne suis point limace, mais pour ne pas vous offenser, j’admettrai colimaçon.

- Bien je note… vous êtes maçon et vous transportez un colis ! Je suis bon prince... J’veux bien vous croire bien que je vous vois mal tenir une truelle!...Puisqu’il y a colis,il y a marchandise,... Mon gaillard votre compte est bon... Qu’est-ce qu’il y a dans votre colis maçon ?

L’incompréhension s’installait...

- Monsieur le Douanier reprenez votre souffle, posez-moi à terre et constatez que l’excroissance que vous nommez colis fait partie intégrante de mon anatomie !

- Ce sera donc une fouille à corps décréta l’autre qui, d’une main ferme, craqua d’un coup sec la coquille suspecte...

La pauvre bête poussa un cri tandis que le Préposé se retrouvait tout penaud, les doigts au cœur de l’escargot... Et ce cœur battait... Il venait de commettre une grosse bêtise... Déjà il regrettait de s’être laissé emporter. Lui revenaient à l’esprit les mots de son vieil instituteur... Ne jugez jamais sur les apparences, même l’évidence est trompeuse ! ... Que faire... Comment sauver cette vie ? ...

Comme à chaque fois qu’un problème sérieux se posait, il décida d’en référer à son épouse. Après avoir disposé quelques brindilles dans le creux de sa main, il y déposa l’escargot et s’en fût très vite à la maison.

La Femme occupait ses longues soirées à la lecture, ce qui en faisait une personne très instruite. Le livre qu’elle tenait tomba sur ses genoux lorsqu’elle vit son époux sur le seuil... Jamais il ne rentrait si tôt... Elle découvrit la pâleur de son visage... Puis enfin distingua ce qui restait du gastéropode...

- Qu'est-ce que c’est ? ...Que veux-tu que je fasse de cette pauvre bête ? ... Jette-moi ça dehors... Retourne au service.

Le képi ne broncha pas. Certes il savait que sa femme avait raison et qu’un escargot de plus ou un escargot de moins sur la planète, ne changerait pas la face du monde, mais celui-ci, c’était de son fait qu’il mourait...

- S’il te plaît fais quelque chose !

- Bon puisque tu y tiens, pose le là, ce disant elle lui indiquait la table de cuisine qui du coup devenait table d’opération.

Elle se mit à réfléchir... Bon qu’elle était la situation ? ... A sa gauche un escargot tout cassé, cabossé, escagassé, fracassé... Devant elle... Rien... A sa droite une tablette de chocolat. Tiens se dit-elle qu'est-ce qu’elle fait là, j’aurais dû la ranger surtout que c’est du Belge, ça ne fait pas sérieux chez un gabelou. Que faire ? ...Le temps pressait. Si j’étais Docteur je regarderais sur mes tablettes... Tablette... Tablette... Eurêka dit-elle en Français, oubliant qu’elle était de Battincourt, j’ai la solution ! En deux temps trois mouvements notre escargot allait retrouver vigueur et, un bonheur ne venant jamais seul, son douanier de Mari ne lui reprocherait pas la tablette puisque celle-ci faisait partie du traitement.

Voila comment elle opéra :

Dans une casserole elle fit couler un peu d’eau avant d’y déposer la tablette. Elle plaça le tout sur le feu. Au bout de quelques minutes, qu’elle mit à profit pour reconstituer la coquille, le chocolat était fondu. Il ne lui resta plus qu’à le faire couler lentement sur l’animal et à attendre qu’il durcisse pour consolider le fragile édifice. Le Douanier applaudissait à tout rompre... La Dame se trouvait géniale ! L’escargot pleurait de joie et ces larmes de reconnaissance se répandaient à flot sur sa coquille toute neuve. Il décida séance tenante de rester auprès de celle qui venait de lui sauver la vie. Plusieurs fois par jour madame faisait un bisou à son protégé qui fondait de plaisir. Lorsque le besoin s’en faisait sentir, elle ressortait sa casserole et redonnait à la prothèse son aspect d’origine. Une question est restée sans réponse... Aimait-elle l’escargot ? Aimait-elle le chocolat ? ...Nul ne le sait avec certitude mais, quand l’occasion nous est donnée de déguster les escargots de Piedmont, la deuxième hypothèse nous semble la plus plausible. Une chose est sûre, ce sont les larmes d’escargot qui donnent à cette merveilleuse friandise ce goût tout à fait particulier qui fait sa renommée.

 

 

 

       LA TARTE PIEDMONTAISE

 

 

 

Lucien remonta le col de sa veste, un frisson lui parcourut l’échine...Dieu qu’il faisait froid ! A la fatigue de la nuit s’ajoutait cette petite pluie fine qui le transperçait.Il venait de quitter la chaleur du fournil. Bientôt il serait à la maison. Il tenterait d’oublier les événements de la nuit dans un sommeil réparateur. Pour l’instant, il en revoyait le film sans songer que, ce qui s’était produit, marquait le début d’une nouvelle vie. Ses sabots résonnaient sur les pavés comme autant de tambours… Le condamné conduit à l’échafaud devait ressentir cette impression de solitude désespérée qui le tenaillait quand, enfin, il heurta l’huis de sa demeure.

Dès que sa mère lui eut ouvert, il se jeta dans ses bras. Maman savait que les larmes constituent le meilleur remède aux gros chagrins. Il pleura longtemps... Lorsqu’il eut sangloté tout son saoul, un sourire fut le signal qu’il attendait pour parler...

- Je ne l’ai pas fait exprès, dit-il tout de go, c’est en voulant attraper la salière que j’ai fait verser le pot de crème dans la pâte !

- Commence par le début, dit Maman, pour l’instant ton histoire n’est pas très compréhensible !

- Tu as raison Mère... Voici contés, par le menu détail, mes malheurs de cette nuit... Cela avait très mal commencé... Tu sais le caractère bourru du Maître Boulanger... Pour lui, un commis est taillable et corvéable à merci... Comme à chaque prise de service il m’avait déjà apostrophé pour, comme il le dit, me mettre en condition... Un client grincheux s’était plaint d’un pain trop cuit et bien entendu, j’en étais responsable ! Il s’éreintait à me former et en remerciement je grillais la pâte ! ... J’étais tête en l’air et cette tête méritait mille fois de se retrouver dans le pétrin ! ... Puisque je n’étais pas capable de fournir un pain acceptable, bon prince, il m’offrait une dernière chance... Le défi était de taille... Il m’incombait de préparer les traditionnelles tartes du dimanche...! Plus mort que vif, je me mis donc au travail. La pâte montait bien...Manquait cependant un peu de sel... c’est à ce moment que se produisit la catastrophe ! La salière était-elle trop loin ? ... Le pot de crème trop près ? ... Toujours est-il que tendant la main pour me saisir de l’un je renversai l’autre ! ... Oh ! Maman ...! J’étais horrifié ! Le maître de céans allait me mettre à la porte... C’en était fini des quelques deniers qu’il me plaît tant de t’apporter en fin de semaine ! ...Devant ce risque, je décidais de ne rien dire. En un tour de main la crème disparut dans la préparation. Les tartes de ce dimanche seraient différentes... Les clients allaient se plaindre... Je ne reverrais jamais plus ma Paulette !...Lucien se remit à geindre, il se répandit de nouveau en larmes, la seule pensée d’être séparé de la demoiselle du lieu lui faisait vivre mille morts ! ...Il ne se trompait pas... Les tartes de ce dimanche furent totalement différentes ! ... Elles se vendirent comme des petits pains ! ... Le premier étonné fut le Boulanger... Qu’arrivait-il aux Piedmontaises et aux Piedmontais ? Certes ces tartes étaient jolies tout compte fait ! ...L’ambre et le doré du sucre se mariaient de façon appétissante... Le croustillant évident ne pouvait laisser indifférent un palais averti...C’était cependant la première fois qu’il voyait la grande Rosa revenir trois fois dans sa boutique ! ... A onze heures toutes étaient vendues... Il se fit reprocher de ne pas en avoir fait davantage et l’on frôla l’émeute lorsque ceux de Mont Saint Martin, prévenus l’on ne sait comment, arrivèrent qui avec une brouette, qui avec une charrette ! ...

Le samedi suivant, notre compère de la boulange décida de tripler la quantité. Il prit soin cependant de faire les tartes lui-même. A lui le profit... Son escarcelle allait tintinnabuler d’agréable façon ! ...Il allait profiter au maximum du penchant soudain de ses compatriotes !... Horreur et déception ! L’engouement constaté ne se reproduisit pas, au contraire... Les sarcasmes étaient de mise ! Les trois-quarts de la production se retrouvaient voués aux porcs du village ! Notre homme de l’art s’en trouva autant marri que dubitatif... Il y a quelque chose qui m’échappe se dit-il... Cela le rongea tant et tant qu’il en fut malade. Le Docteur lui conseilla de garder la chambre. Contraint et forcé, Lucien dut assurer la boulange et la pâtisserie.

Le Mitron savait maintenant ce qui faisait la différence. Chaque samedi Paulette, à qui il s’était confié, s’en allait quérir un grand pot de crème à la ferme voisine. Le dimanche c’était la ruée... Tout le monde voulait des tartes ! ...Les tartes Piedmontaises étaient même devenues un moyen d’échange au même titre que les louis frappés à l'effigie du Roi ! ...Il n’était pas rare d’entendre au marché du coin, les camelots héler le chaland en s’exclamant : Qui veut mes chapons?...Deux tartes pour un chapon ! ...Deux grosses tartes pour cette tête de porc ! ... etc... etc... Les villageois se donnaient des tartes en famille... Les petites pour les enfants... Les grandes pour les Parents... Même à l’école la tarte avait droit de cité, elle remplaçait, par exemple, le sempiternel “bon point”...L’élève qui réussissait son devoir recevait une tarte... Par contre le potache qui était en retard devait deux tartes à l’institutrice ! ...

Lorsque toute trace de fièvre eut disparu, on vit réapparaître le maître des lieux. Sa retraite forcée lui avait laissé le temps de réfléchir. Il en était arrivé à la conclusion que son apprenti avait un secret de fabrication.

- Lucien, lui dit-il, fais-moi connaître ta formule et jamais plus je ne serai dur avec toi.

- Maître votre talent est immense, ce que vous m’avez enseigné constitue la base de ma réussite. S’écarter du chemin que votre compétence m’a tracé serait blasphématoire ! Loin de moi l’idée de retrancher ou d’ajouter un iota au savoir que vous m’avez si généreusement dispensé !

Cette réponse, bien entendu, ne fit pas l’affaire du patron ! Il était, certes, convaincu de posséder la quintessence du métier, mais l’ironie, à peine voilée, de son apprenti l’incita à pousser plus avant.

- Ecoute petit, je sais que tu as un secret et que celui-ci te rendra riche, si l’on te donne les moyens de l’exploiter. Je me fais vieux... Je n’ai pas de garçon... Ma fille et toi nourrissez un doux penchant... Révèle-moi l’astuce et tu seras mon gendre !

Ce qui fut dit fut fait ! C’est en grande pompe que l’on célébra la noce... Paulette était radieuse au bras de son époux. Beau-papa distribuait du “Maître Lucien” comme notre évêque accorde ses bénédictions et jamais l’on ne vit autant de monde s’échanger autant de tartes. Chaque dernier dimanche de mai le village commémore, comme il se doit, cet heureux événement. Si par hasard, lors de votre visite, vous recevez une tarte n’hésitez pas à en demander une autre le pâtissier de service est là pour ça !

 

 

 

 

 

 

LES YAOURTIERS

 

Dans ces temps reculés, la campagne n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui. Il faut s’imaginer la forêt profonde hantée par les gnomes, les lutins, les farfadets, les graoulis et autres créatures dont la seule évocation vous glace le sang. Bien entendu, il faut ajouter à cela, pour que le tableau soit vraisemblable tant les limites de notre imagination sont en dessous de la réalité, une végétation exubérante faite de toutes les essences portant fruits avec ou sans pépin que nous dénommons pommiers… Poiriers… Pruniers…etc. Bref, tous les fruitiers que l’on trouve encore actuellement dans nos rares vergers. C’est ainsi que nous avions au ras du sol, dans un fouillis inextricable, les mûriers et les framboisiers ombrant les brimbelliers et les fraisiers perdus dans de hautes herbes. Par-dessus cela trônaient les grands seigneurs des forêts dont la cime culminait à la base des nuages ! La tâche de nos ancêtres ne s’en trouvait pas facilitée car il fallait avant de semer : défricher, élaguer, piocher, biner, bêcher ou labourer afin que le sol produise le blé et l’orge. Le blé étant indispensable à la fabrication du pain et l’orge nécessaire à la confection de la cervoise, unique breuvage admis à l’époque. Entre parenthèse, personne ne sait comment cette appellation de cervoise fut déclinée au cours des siècles pour arriver au terme de bière… Ou, si quelqu’un le sait, personne ne se pose la question lorsqu’il s’agit d’apprécier la saveur d’une bonne mousse. Or, comme dit plus haut, les hommes de la nuit des temps, œuvraient d’arrache-pied (c’est le cas de le dire) pour s’approprier assez de surface afin que, sans faire bombance, chacun se trouvât rassasié. La lutte était âpre, les dangers réels, très peu s’aventuraient à l’orée des bois où il n’était pas rare de rencontrer, lions, tigres et léopards, sans compter serpents et autres venimeux. Le décor est planté… La suite n’est qu’anecdote !

Un jour de labeur tendait à sa fin. L’homme s’était donné bien du mal. Le soleil, qui maintenant dorait les hautes branches, s’était montré particulièrement ardent. Est-ce de ce fait ou de fatigue ? Toujours est-il qu’il fut pris d’étourdissements. Tout comme le chêne qu’il avait coupé ce matin, il s’abattit au sol…La tête en feu…La gorge serrée… Transpirant à grosses gouttes. Que faire ? Allait-il attendre le loup qui ne manquerait pas de la dévorer ? Devait-il appeler à l’aide ? La deuxième solution lui sembla, évidemment, la plus raisonnable. Une longue plainte s’éleva dans le ciel déjà marqué par les affres de la nuit mais personne ne l’eût entendu si, par un heureux hasard, sa femme n’avait décidé de venir à sa rencontre. Elle le trouva en bien mauvais état. La fièvre le tenaillait. Son regard semblait déjà voir l’autre côté de la vie. Elle tenta en vain de l’emporter vers la ferme.

A cette époque, la panacée consistait à poser des ventouses. Devant la gravité de l’état du malade et dans l’impossibilité d’appliquer le traitement à domicile, elle laissa le moribond à l’ombre d’un pommier, puis s’en fut chercher le mirifique remède. Ce fut, à notre connaissance, la première intervention de notre SAMU actuel.

Elle avait en main une douzaine de verrines du genre pots à moutarde, mais plus petits. Quelques feuilles enflammées jetées à la hâte dans chacun des récipients, firent office d’étoupe. Les unes après les autres toutes les ventouses furent posées retournées sur le dos du malade. Lorsqu’elle eut fini, l’esprit en paix,puisqu’il n’y avait rien d’autre à faire, elle s’endormit aux côtés du patient afin de ne pas le laisser seul. Pas un instant elle ne pensa à la Noiraude, sa belle et bonne vache, qui attendait de se faire traire au village. Cette brave bête avait ses habitudes… Chaque jour, à heure fixe, elle rentrait d’elle-même à l’étable, la mamelle gonflée comme une outre, fière de fournir à la maisonnée le meilleur lait que l’on puisse trouver. Ne voyant pas venir sa patronne, c’est d’un pas hésitant qu’elle prit la direction de la forêt. Elle allait faire comprendre à la fermière qu’il faut tirer le lait quand il est fait au même titre que, quand la coupe est pleine, il faut la boire ! Notre normande trouva bientôt les deux corps allongés. Fallait-il les réveiller ? La brave bête après un regard attendri, suivi d’un beuglement plaintif, décida de n’en rien faire. Le pis douloureux elle s’affaissa au pied du pommier. Durant toute la nuit, malgré ses efforts pour retenir le précieux liquide, le lait se répandit sur le sol. Les racines assoiffées par la sécheresse y trouvèrent leur compte. La sève devint lait… Elle s’en alla irriguer chaque feuille et l’on vit même, au petit matin, des gouttes de lait en lieu et place de la rosée habituelle !

A l’heure où chante le coq, la fermière ouvrit un œil, puis ouvrit l’autre, qu’elle glissa vers son mari pour constater que celui-ci semblait dormir du sommeil du juste. Tout allait bien… Quelques jours à l’ombre lui permettraient de retrouver la santé. Les ventouses avaient requinqué le manouvrier !… Machinalement, elle les compta… Une… Deux…Trois… Huit… Onze… Où est la douzième ?… Bof ! Ce n’est pas un problème ! On finira bien par la retrouver !

Le principal c’est de ne pas être veuve avant que les pommes de terre soient rentrées ! Cette boutade la fit rire à tel point qu’elle en réveilla son conjoint. L’un et l’autre se firent un gros bisou avant de se séparer. Sur recommandation de sa femme, le mari demeura sous son arbre tandis qu’elle regagnait ses pénates suivie de la vache qui allait de mal en pis !

Le hasard fait quelquefois que les choses s’accélèrent !… Un geste… Une découverte fortuite, et le monde est en marche ! C’est bien fortuitement que notre défricheur retrouva la douzième ventouse et c’est bien un hasard si une partie du lait suintant des feuilles du pommier l’avait emplie d’un nectar lacté à l’odeur du fruit ! Notre homme huma mais ne toucha pas. Cela était quand même suspect… Comment ce lait était-il venu là ? Pourquoi cette odeur de pomme ? Mystère !… Après avoir tourné la question dans sa tête et, certainement fatigué de ne pas trouver de réponse, il sombra dans un sommeil réparateur. Dormit-il longtemps ? Toujours est-il qu’à son réveil la faim lui tenaillait l’estomac… Rien à se mettre sous la dent… Si ses forces le lui avaient permis il aurait, peut-être, tenté l’escalade d’un fruitier, mais il n’en était pas question. Il lui fallait trouver à portée de la main de quoi se sustenter un brin en attendant le retour de sa femme. Ses yeux se portèrent de nouveau sur la ventouse. Il remarqua tout de suite que le liquide avait pris la consistance d’une masse gélatineuse qui, pour ne pas être appétissante, n’en gardait pas moins ce relent fruité qui mettait l’eau à la bouche. La tentation était là… Du pot aux lèvres il n’y avait qu’un bras ! En moins de temps qu’il faut pour l’écrire, tout fut consommé ! Il y a de la sorcellerie dans tout ça se dit-il. Jamais il n’avait mangé un mélange aussi subtil où l’acidité se mariait suavement au sucré…Ce ne pouvait être que le résultat d’une cuisine diabolique ! Au moment où s’insinuait en lui cette pensée, il perçut la fraicheur du sol… Pas de doute il était couché dans une mare de lait dont la provenance ne lui échappa plus lorsqu’une goutte de liquide vint s’écraser sur son crâne ! Ainsi cette merveilleuse décoction était le fruit d’une alchimie généreuse, issue d’une transformation alambiquée, dont les composants n’étaient autres que le lait de la Noiraude et la sève de l’arbre sous lequel il se trouvait ! Tout devenait clair ! De sa réflexion naquit la certitude qu’il suffisait de répandre du lait au pied des arbres pour obtenir la répétition de ce qu’il considérait comme un miracle ! Ainsi, si l’on désirait une saveur de poire il importait de choisir un poirier. Pour se délecter d’un soupçon de mûres, les mûriers environnants s’imposaient… Et l’on pouvait varier à l’infini les mariages en tenant compte de la hauteur des différentes essences ! Par exemple s’il s’agissait de créer des amalgames, rien n’empêchait de positionner un pot sous un fraisier, placé sous un brimbellier, dominé par un pommier… La sève lactée du pommier tombait sur le brimbellier, poursuivait son périple sur le fraisier et terminait sa course dans le récipient… Le tour était joué… Le gourmet dégustait un merveilleux « Pomme/myrtilles-fraise ! YAOU !!! s’écria-t-il… Déjà il entrevoyait la possibilité d’exploiter cette découverte qui allait le payer au centuple de toutes ces heures passées à s’éreinter sur la glèbe. Comment dénommer la nouveauté ?… Il fallait absolument lui trouver un nom afin quelle ne soit pas confondue avec le vulgaire fromage blanc ou avec la cancoillotte vosgienne ! De minute en minute ses pensées prenaient forme… Ce devait être un mot nouveau… Où l’on ressentirait l’enthousiasme qui l’avait saisi… Un mot qui laisserait de lui, le découvreur, une trace indélébile… Pourquoi ne pas reprendre le « YAOU » monumental qui lui a échappé tout à l’heure ? C’est une bonne base ! Renée, sa femme, méritait également d’être reconnue… Lui Théophile s’en voudrait de ne pas l’associer à la réussite qui se dessinait ! Allez, se dit-il, ne tournons pas autour du pot ! Si je prends YAOU et que j’y ajoute nos initiales… Avec le « R » de Renée et « T » de Théophile… Cela fait YAOURT ! Un nom comme celui-là ne sera jamais copié ! L’exclusivité en est garantie !…

C’est ainsi que naquirent les yaourtiers… C’est-à-dire des arbres et des plantes que l’on garnissait de petits pots afin d’y recueillir à la source les sécrétions nécessaires à la fabrication des « Yaourts ». Tous les jeunes de Piedmont, après avoir écouté l’Ancien du Village chargé de leur transmettre l’acquis des générations passées, se retrouvaient au pied des yaourtiers.

La récolte était quotidienne et ne souffrait aucun retard. Il n’était pas rare, cependant, de rencontrer plusieurs dizaines d’enfants, auxquels il était permis de se servir à volonté, se bataillant sous les frondaisons. D’aucuns trouvent là l’explication au fait que certains d’entre-nous soient de couleurs différentes. Ces bagarres laissaient automatiquement des traces… Celui qui recevait un yaourt au citron se retrouvait jaune !… La myrtille et les mûres laissaient des traces plus ou moins noires ! … La fraise se déclinait en rouge, la pomme et la poire en blanc !… Le narrateur, quant à lui, n’est pas loin d’abonder dans ce sens et d’admettre que nous descendons tous des yaourts de l’époque ! Nous aurions, en quelque sorte, été tous nourris du même lait, le hasard des yaourts reçus n’ayant modifié que l’aspect extérieur. Selon cette théorie, Piedmont est le berceau du monde… D’ailleurs ceci est admis, en toute modestie, par la plupart des habitants actuels. Bien entendu les techniques ont évolué, les mœurs également (il n’est plus question de s’envoyer des yaourts à la tête et c’est regrettable puisqu’ils ont été remplacés par des bombes !). La nécessité de nourrir de plus en plus de monde a entraîné la disparition de nombreuses forêts. Pour appréhender le changement, il nous faut rapprocher la description des lieux faite en préambule avec ce que nous pouvons voir à l’aplomb du viaduc de Piedmont… C’est à cet endroit précis que les faits relatés se sont déroulés. Les vergers n’intéressent plus personne car le travail qu’ils nécessitent n’est pas « rentable » selon la terminologie en vogue. Les yaourts sont fabriqués à la chaine à partir d’extraits de fruits et de poudre de lait dans des usines aseptisées d’où l’imagination est bannie.

Avant de poser sa pointe Bic, l’auteur de ces quelques lignes ne peut s’empêcher de penser… Et si tout cela était vrai ?

Partagez votre site

Vous pouvez utiliser mes textes

comme vous l'entendez.

Je vous demande simplement

de me le faire savoir et de m'indiquer l'usage que vous allez en faire. A noter qu'il est interdit d'utiliser mes écrits pour se faire de l'argent.

Vous devrez, également, mentionner mon nom en tant qu'auteur.